Une pandémie appelée… assimilation

Allocution du président de la Société de l'Acadie du Nouveau-Brunswick


M. Alexandre Cédric Doucet 

Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes 

Jeudi 10 décembre 2020


Monsieur le président Dubourg, chers membres du Comité, mesdames et messieurs, bonsoir. 

Je m’appelle Alexandre Cédric Doucet et je suis le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, l’organisme porte-parole des Acadiennes, Acadiens et francophones de la province du Nouveau-Brunswick. Je suis accompagné aujourd’hui par M. Ali Chaisson, directeur général de la SANB. 

Mesdames et Messieurs, c’est un honneur de vous adresser la parole aujourd’hui à titre de représentant des 20 000 membres de mon organisme et, par extension, des quelque 235 000 francophones habitant dans la seule province officiellement bilingue au pays (le ROC pour les intimes). 

Je vous remercie très sincèrement d’avoir invité la SANB à témoigner dans le contexte de la modernisation de la Loi sur les langues officielles en pleine pandémie. Cela est important, car la dernière fois que la Loi fut révisée, en 1988, les parlementaires semblent avoir oublié le Nouveau-Brunswick. La SANB est ici afin de s’assurer que cela ne se reproduise pas.

Je ne vais pas commencer mon discours aujourd’hui en vous parlant de la Déportation des Acadiens, même si la Proclamation Royale de 2003, signée par la Reine du chef du Canada et par sa gouverneure générale Adrienne Clarkson, reconnaît les torts causés aux Acadiennes et aux Acadiens en 1755, jalon tragique dans l’édification du Canada. Toutefois, c’est avec le poids de toute l’histoire de ma nation que j’aimerais débuter ma présentation en traçant une ligne très claire dans le sable : 


« Je suis un Acadien. Je suis Canadien dans la mesure où le Canada m’aide à demeurer Acadien. »  

Léger Comeau (1920-1996)


« Je suis un Acadien. Je suis Canadien dans la mesure où le Canada m’aide à demeurer Acadien. » Cette citation n’est pas la mienne, mais bien celle d’un de nos grands bâtisseurs acadiens, feu le Père Léger Comeau, jadis président de la Société Nationale de l’Acadie. Elle résume de manière très succincte et précise la perspective de la SANB sur la nature sous-jacente des relations particulières, parfois rocambolesques, qui existent entre la nation acadienne et l’État canadien, quant au contrat social que représente l’ensemble de nos lois, politiques et règlements en matière de langues officielles. 


« La réalité du N.-B. est celle de deux peuples qui habitent un même territoire et qui entendent s’y faire respecter. »   

Mémoire pour la création d’un district scolaire 

Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, 1973

Michel Bastarache, directeur, et Pierre Poulin, président


Chers membres du comité, j’ai 26 ans. La dernière fois qu’il y a eu une révision de la Loi, en 1988, je n’étais même pas né. En préparation du présent discours que je vous adresse, j’ai lu plusieurs documents publiés par la SANB au fil des années. Des mémoires écrits par d’éminents Acadiens qui ont travaillé pour la SANB ou qui en ont occupé la présidence avant moi, dont certains noms vous sont peut-être familiers : Me Michel Bastarache et Me Michel Doucet, entre autres. 

Mes prédécesseurs sont allés loin, très loin dans les méandres juridiques, dans les calculs politiques, dans les analyses des causes et des conséquences de telle ou telle décision, de telle ou telle modification à la Loi, dans le choix des mots, voire dans le poids des omissions. Je me mets à leur place, et c’est une grande lassitude, doublée de déception, qui s’empare de moi. Tout ça pour ça! Tant de travail dans les 50 dernières années pour arriver à un constat aussi troublant : nous revendiquons toujours la même chose… La Loi sur les langues officielles manque de mordant, et les élus canadiens ont failli à leur devoir envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire. 

Ainsi parlait un de mes prédécesseurs dans le Mémoire de la SANB présenté en septembre 1975 au Groupe de travail sur les minorités de langue française : « N’eut été les programmes développés par le gouvernement fédéral afin d’assurer la reconnaissance du français, jamais le Nouveau-Brunswick ne serait devenu bilingue. [… Mais] le bilinguisme n’est pas une fin en soi. Ce n’est qu’un mal nécessaire. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a, au Canada, des communautés francophones de diverses dimensions et que celles-ci veulent continuer à être ce qu’elles ont toujours été, c’est-à-dire, francophones. Ces communautés demeureront francophones avec ou sans le Canada. Si c’est avec le Canada, ce sera dans ce qu’on appelle le Canada bilingue, où les deux éléments linguistiques officiels du pays jouiront de droits réels, complets et absolus. »

Dans le contexte actuel, dans cette ère de parole facile et d’actions clairsemées et attentistes, je ne peux faire autrement : je constate que ces phrases résonnent toujours, 45 ans plus tard, et expriment toute la détermination du peuple acadien de persévérer dans son existence et dans sa spécificité. Mais je me demande, au rythme où vont les choses : est-ce que mes futurs petits-enfants seront obligés de revenir ici devant ce comité, dans 50 ans, revendiquer les mêmes choses? 


« Tandis que toutes ces belles personnes au Parlement du Canada et à l’Assemblée législative du Niou-Brunswick [sic] se tripoteront les méninges afin de trouver des moyens de donner l’impression de s’occuper des droits des francophones du pays, l’assimilation continuera son p’tit bonhomme de chemin comme si de rien n’était. » 

Rino Morin Rossignol, auteur acadien


Connaitront-ils, enfin, une Loi sur les langues officielles modernisée à la hauteur des aspirations de notre grand pays? Seront-ils même encore Canadiens? Ou pire, se seront-ils assimilés à la langue de la majorité?

Mais, Mesdames et Messieurs, j’ai presque oublié que nous sommes ici pour parler des Langues officielles dans le contexte de la Covid-19… Voici donc un exemple très révélateur, et je terminerai là-dessus : 

Aux débuts de la pandémie, le ministre responsable des langues officielles du Nouveau-Brunswick, nul autre que le premier ministre Blaine Higgs, dont la maîtrise du français est pour le moins limitée, a refusé de nommer un interlocuteur francophone ou bilingue afin de s’adresser aux Acadiens et Acadiennes dans leur langue, lors de ses conférences de presse quotidiennes. Il a même exigé qu’une journaliste de Radio-Canada lui pose sa question en anglais! Ce qui a été vaguement réprimandé par la Commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, qui préfère une interprétation minimaliste, voire laxiste, des responsabilités gouvernementales en matière de langues officielles. Le français, hélas, demeure une langue de traduction, une langue d’accommodement… 

Malgré toutes nos lois et toutes nos institutions politiques, la tragique réalité, c’est que notre gouvernement n’était même pas capable de s’adresser à nous dans notre langue, une langue officielle, lors de la pire crise sanitaire des cent dernières années. 

Plusieurs Acadiens ont donc changé le poste pour écouter les points de presse de François Legault, et ce, afin d’être informés en français. Les autres n’auront eu d’autre choix que de pratiquer leur anglais.

Est-ce que c’est ainsi qu’on lutte contre l’assimilation au Canada? Est-ce que la notion même de lutte contre l’assimilation est rendue à ce point taboue, dissimulée par la honte que l’État canadien ressent face à son piètre bilan en matière de défense et de promotion du français? Est-ce que le déni sauvera la face de nos politiques publiques en matière de langues officielles en les inoculant contre l’outrage de cette bassesse historique? 

J’en appelle à votre courage et à votre responsabilité en tant que femmes et hommes d’État. Le futur, c’est maintenant qu’il se dessine. Nous en sommes véritablement à la croisée des chemins : à vous de décider quelle direction prendra le grand projet canadien. 

Merci et bonsoir.

Alexandre Cédric Doucet, président

Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick

 


Et vous, Messieurs les Acadiens, qui craigniez tant la Confédération, pouvez-vous regretter aujourd’hui ce qui a été fait en 1867?  

Sir Hector Langevin, 1881

Discours prononcé dans le cadre de la 1re Convention nationale acadienne (Memramcook, NB)



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